T'ILT
- Territoires d’ILT, méandres de lieux de nature métropolitains ?
Territoires d’ILT, méandres de lieux de nature métropolitains ?
Le développement des infrastructures linéaires de transports (ILT) a favorisé un morcellement des métropoles, créant coupures et césures territoriales, tout en encourageant une urbanisation continue dans leur sillage. Ces ILT tendent à déqualifier un linéaire d’espaces non constructibles, sans usages et gérés à minima. Notre hypothèse est que ces linéaires aux abords des ILT ne peuvent être réduits à des bordures qui séparent. Ils peuvent présenter des co-bénéfices écologiques et socio-urbains pour les espaces et milieux habités riverains.
Notre recherche a analysé les abords du périphérique nantais (et des ILT qui le croisent), pour interroger les capacités de ces espaces de nature intermédiaires entre les ILT et les milieux de vie en termes de lieux vécus et représentés, de liaisons potentielles entre et avec les quartiers habités, de milieux et connectivités écologiques.
Notre méthode se structure en 5 tâches interdisciplinaires et à 3 échelles d’analyse.
Nos analyses ont permis de montrer que :
- A L’échelle métropolitaine, bien que les ILT fragmentent, elles favorisent paradoxalement le maintien de milieux naturels.
- A l’échelle intermédiaire, des abords d’ILT constituent des espaces lisières qui présentent des qualités potentielles de liens, de lieux et de milieux. A Nantes 7 espaces ont été identifiés par une combinaison d'approches cartographiques et l'arpentage terrain : ce sont des espaces à caractère naturel entre ILT et quartiers résidentiels qui déploient des liens de riveraineté avec les espaces adjacents voire le territoire.
- A l’échelle du site, nous avons pu identifier 2 lieux lisières (parmi les 7 espaces lisières) qui créent des lieux appropriés, préservent des milieux à caractère naturel, et offrent des liens avec d’autres espaces urbains ou naturels. Ils favorisent :
- Des lieux de nature ressources, pour habiter dans un espace contraint, le mettre à distance et l’intégrer dans un paysage plus vaste tout en valorisant une diversité d’expérience sensible de voisinage.
- Des milieux moins anthropisés, relativement plus favorables à la biodiversité et à une nature plus sauvage, avec des ambiances végétales diversifiées intensifiant des liens Homme-Nature.
- Des liens (connectivité, riveraineté, maillage d’espaces commun) avec les territoires adjacents qui concourent tant à la biodiversité qu’à la qualité de vie.
Une reliance à la fois territoriale (point de jonction favorisant l’appartenance à un territoire), écologique (diversité des milieux, richesse floristique des boisements, et contribution à la connectivité écologique), sociale et psychologique (par les relations envers les autres et envers soi), et même sensible (par l’expérience de la nature qu’elle permet).
Ces lieux lisière créent ainsi des espaces communs de nature d’un nouveau genre, à mi-chemin entre l’espace public et privé, composés de lieux (à proximité des habitations), de milieux (aux abords des infrastructures), de liens écologiques, paysagers et urbains, qui permettent de mettre à distance voire de compenser la présence des ILT.
Les qualités de ces lieux peuvent être déjà là (exemple du Pont perdu) ou à révéler (telle à Sainte-Luce). Les ménager et requalifier pourraient dès lors permettre d’améliorer la qualité de vie des quartiers riverains tout en favorisant la biodiversité et d’autres maillages métropolitains.
Apports et résultats
Nos différentes approches disciplinaires et croisées par échelle ont montré combien la rencontre des disciplines et méthodes interrogent les grilles de lecture fonctionnelles et des mobilités de ces espaces qui constituent des vides urbains, telles que priorisées par les politiques publiques et gestionnaires d’ILT.
A l’échelle du site la combinaison de 3 approches a permis une analyse fine des potentialités :
- l’enquête qualitative auprès des habitants, accompagnée de cartes mentales met en évidence une hiérarchie des ambiances végétales, l’existence de lieux d’expériences sensibles qui dépassent les représentations négatives, ainsi que des attentes de lieux de nature variés, libres d’usages, qui font lien et territoire.
- l’analyse écologique, par des relevés floristiques et la cartographie des habitats, montre une diversité de milieux et une relative richesse des boisements notamment comparativement aux bois de l’agglomération nantaise
- l’analyse urbaine révèle des configurations spatiales qui favorisent les représentations positives et appropriations par l’existence d’espace ouvert qui crée un espacement et une mise à distance par des masques végétaux des ILT, des successions d’espaces présentant une variété d’ambiances urbaines et végétales et des vues sur des paysages qui constituent une ressource pour les riverains et permettent d’intégrer l’ILT dans d’autres paysages.
Préconisations pour l'action
Les espaces et lieux lisières peuvent être considérés avec un regard plus capacitaire, ce qui invite à reconsidérer les stratégies de renaturation métropolitaine avec un triple enjeu écologique, de reliance territoriale et d’insertion des ILT. Cela permettrait de renforcer les liens villes/campagnes, créer des riverainetés avec les ILT, atténuer les nuisances environnementales et la perte de biodiversité et créer des espaces communs de nature d’un nouveau genre.
Nos observations pourraient être confortées à plus grande échelle à partir des méthodes d’identification et d’analyse mises au point, sur d’autres sites. Un partenariat avec des collectivités permettrait d’opérationnaliser ces résultats à travers des expérimentations de ménagement et requalification de lieux et d’espaces lisières, avec :
- une veille pour intégrer dans des stratégies de renaturation les espaces lisières à l’échelle métropolitaine,
- des stratégies de qualification des espaces lisières en lieux lisières,
- des projets de ménagement des lieux lisières existants ou potentiels afin de les requalifier en espace commun de nature en tenant compte de leur singularité et de leurs usages existants
- des modalités de gestion à minima, la prise en compte de ces espaces et lieux-lisières par les collectivités ne doit pas forcément s’accompagner d’une intervention plus forte, mais peut au contraire être l’occasion d’assumer, voire d’expérimenter des formes d’ensauvagement,
- des approches de gouvernance collaborative et de co-conception entre collectivités, gestionnaires d’ILT et riverains.
Perspectives
Conforter ces observations à plus grande échelle à partir de la méthode d’identification et d’analyse mise au point
Opérationnaliser ces résultats à travers des expérimentations de ménagement et de requalification de lieux et d’espaces lisières.
Publications
Bailly E., Beaujouan V., Daniel H., Marchand D., 2025, Les vides le long du périphérique nantais : de potentiels espaces de nature et de ressources ? , Lausanne, Peter Lang.
Bailly E., Beaujouan V., Daniel, H., Marchand D.. Chapitre 10. Les abords des infrastructures linéaires de transport peuvent-ils constituer des espaces publics de nature ? Étude de cas du périphérique nantais. Editions Quae. Infrastructures de transport créatives. Mieux les intégrer aux écosystèmes, paysages et territoires, 2024, Synthèses, ⟨10.35690/978-2-7592-3813-2⟩. ⟨hal-04522520⟩